Les auteurs ne sont pas les seuls à s'émouvoir du pilon. La destruction de livres renvoie à des pages d'histoire peu glorieuses, et n'importe qui de sensé se dit que les invendus pourraient au moins servir à ceux qui n'ont pas les moyens de s'en acheter.
C'est sans compter sur... les comptes. Donner des livres coûte en transport et l'éditeur craint de ne les retrouver sur un marché parallèle. Le stockage aussi entre dans les comptes: de 8 à 10 € par mois au m2. Résultat, la pratique s'est banalisée : en France, chaque année, on détruit 100 millions de livres. Oui, 100 millions ! Un livre sur cinq. Et ce n'est pas, comme le dit L'Express, parce que "le tirage est un art difficile", mais à cause d'une surproduction irresponsable. Quand on fabrique des livres jetables, il ne faut pas s'étonner d'avoir à les jeter!
Au moins la loi oblige-t-elle l'éditeur à proposer à l'auteur le rachat du stock, au prix de la facturation du pilonneur ou du soldeur, donc à bas prix, beaucoup moins cher que le coût de fabrication. Voilà un détail qui a du sens à l'ère d'Internet. Hier, les auteurs pouvaient hésiter à racheter le stock, ne sachant qu'en faire. Aujourd'hui, Internet met la diffusion et la distribution à la portée de tous.
Votre éditeur solde ou pilonne : remerciez-le ! De toute manière, il ne s'occupait plus de votre bouquin, il ne tenait pas son engagement par contrat de "mettre en œuvre tous moyens pour favoriser l'exploitation des droits cédés" et ça pouvait durer longtemps, puisque vous lui aviez donné votre livre pour 70 ans ! Rachetez le stock, et du même coup récupérez les droits, pour une bouchée de pain, et faites ce qu'il aurait dû faire : vendez-le sur un site Internet. Encore faut-il des visiteurs! rétorquerez-vous, fort justement. Et si les auteurs se donnaient la main – refrain connu? S'ils s'associaient pour construire un site qui s'appellerait "Sauvés du pilon!"? Ça finirait par se savoir. Las! les auteurs sont fragiles, timides et isolés. Quand on y pense: ils ne vont jamais contrôler les bordereaux de diffusion. Auteurs et éditeurs, on est entre gens de bonne compagnie, qui vivent d'art et d'eau fraîche (avec un peu de whisky pour les éditeurs).