J’ai écrit quelques livres, j’en ai mis 
en page comme graphiste, imprimé comme imprimeur, édité comme éditeur, 
et j’en ai vendu comme libraire. Depuis le début des années 80, en 
vingt-cinq ans, j’ai fait toute la chaîne professionnelle du livre, à 
l’exception du maillon diffusion. C’est pendant cette période que 
l’édition française s’est gravement dégradée. Fabrice Piault, 
rédacteur-en-chef adjoint de Livres Hebdo, a résumé les dommages en une 
formule : « L’édition échappe à l’édition », dans un ouvrage au titre 
évocateur : "Le Livre : la fin d’un règne".
L’éditeur de « l’ancien régime » était 
censé livrer au public une « œuvre de l’esprit », indépendante de la 
logique du commerce, c’est à dire « autonome », au sens où l’entend 
Pierre Bourdieu, qui considérait « l’autonomie des champs culturels » 
comme « l’une des plus hautes réalisations de l’espèce humaine ». Si 
l’éditeur consentait à publier des livres commerciaux sans intérêt, 
c’était théoriquement dans le but de financer les vrais livres, les 
livres indispensables, d’utilité publique, propres à accroître notre 
patrimoine culturel.
