C'est la fin des éditeurs. Devenus de simples marchands, ils n'ont plus notre confiance et la technologie nous en dispense. Ce tableau de Tiepolo fils invite à leur tourner le dos. Grouillot de son célèbre père pendant des années pour brosser des tableaux académiques sans âme, Giandomenico Tiepolo a pris sa mesure après la mort du père, osant des fresques "impubliables" à son époque. A l'imposteur succèda un vrai artiste.

mardi 5 novembre 2013

Les "banquiers du talent"

J’ai écrit quelques livres, j’en ai mis en page comme graphiste, imprimé comme imprimeur, édité comme éditeur, et j’en ai vendu comme libraire. Depuis le début des années 80, en vingt-cinq ans, j’ai fait toute la chaîne professionnelle du livre, à l’exception du maillon diffusion. C’est pendant cette période que l’édition française s’est gravement dégradée. Fabrice Piault, rédacteur-en-chef adjoint de Livres Hebdo, a résumé les dommages en une formule : « L’édition échappe à l’édition », dans un ouvrage au titre évocateur : "Le Livre : la fin d’un règne".

L’éditeur de « l’ancien régime » était censé livrer au public une « œuvre de l’esprit », indépendante de la logique du commerce, c’est à dire « autonome », au sens où l’entend Pierre Bourdieu, qui considérait « l’autonomie des champs culturels » comme « l’une des plus hautes réalisations de l’espèce humaine ». Si l’éditeur consentait à publier des livres commerciaux sans intérêt, c’était théoriquement dans le but de financer les vrais livres, les livres indispensables, d’utilité publique, propres à accroître notre patrimoine culturel.

C’est dans la première moitié du XIXe siècle qu’apparaît l’éditeur ainsi défini. On le qualifiait de « banquier du talent » ! Pascal Durand et Anthony Glinoer, dans "Naissance de l’éditeur, l’édition à l’âge romantique", voient son acte officiel de naissance dans une déclaration, en 1839, de Léon Curmer, lui-même éditeur : « [L’Editeur], intermédiaire intelligent entre le public et tous les travailleurs qui concourent à la confection d’un livre, ne doit être étranger à aucun des détails du travail de chacune de ces personnes ; maître d’un goût sûr, attentif aux préférences du public, il doit sacrifier son propre sentiment à celui du plus grand nombre, pour arriver insensiblement et par des concessions graduées à faire accepter ce que les vrais artistes d’un goût plus éprouvé approuvent et désirent. Cette profession est plus qu’un métier, elle est devenue un art difficile à exercer, mais qui compense largement ses ennuis par des jouissances intellectuelles de chaque instant. » On croit rêver ! Qu'est-ce que tu en penses, Antoine, toi qui a déroulé un tapis rouge rue Sébastien-Bottin pour accueillir Madonna?