C'est la fin des éditeurs. Devenus de simples marchands, ils n'ont plus notre confiance et la technologie nous en dispense. Ce tableau de Tiepolo fils invite à leur tourner le dos. Grouillot de son célèbre père pendant des années pour brosser des tableaux académiques sans âme, Giandomenico Tiepolo a pris sa mesure après la mort du père, osant des fresques "impubliables" à son époque. A l'imposteur succèda un vrai artiste.

vendredi 1 novembre 2013

Vive la longue queue !



"The long tail" : cette expression nous vient d'Outre-Atlantique et caractérise le commerce numérique des "biens culturels". La longue queue, telle est sa traduction exacte. Ceux qui l'ont importée ont jugé cette traduction "ambiguë" (osent-ils parler de la queue des comètes et des pianos à queue?) et lui ont préféré la longue traîne, qui évoque, au choix, le filet des chalutiers ou la robe de la mariée. 

L'idée est, pour une part, une version moderne du bouche-à-oreille : le Net donne à un livre inconnu du grand public le temps et les moyens de se propager sans marketing et sans publicité, les deux mamelles du "marché de masse". Le filet qu'il traîne s'alourdit peu à peu, au fil des commentaires de lecteurs sur les librairies en ligne ou dans les multiples blogs littéraires, à l'aide des recommandations du genre : "Ceux qui ont acheté ce livre, on aussi acheté...", ou plus simplement par contamination, d'ami en ami, via la messagerie électronique. De plus, ce n'est pas pour rien qu'on appelle le web "la toile". Il est tissé de réseaux, or un réseau accélère la propagation, et ça communique de réseau en réseau. Une simple recherche sur Google révèle, si ce n'est un réseau au sens exact, tout ce qu'il faut pour faire un réseau.

Mais la circulation de l'information propre à Internet ne suffit pas à expliquer la longue queue. La délocalisation du marché joue pour beaucoup. Un local de librairie ne peut contenir qu'un nombre limité de livres et son rayon de chalandise est de quelques kilomètres. En théorie, une librairie en ligne peut proposer au monde entier le catalogue complet de tous les éditeurs connus... et inconnus. Conséquence directe: un livre n'a pas besoin d'être au hit parade pour avoir une place dans  "l'espace" commercial et le marché est tellement vaste qu'il a toutes les chances de trouver des lecteurs.

On objectera qu'une grosse machine comme Amazon n'a aucun intérêt à s'embarrasser de bouquins qui se vendront à dix exemplaires sur les dix ans à venir. Erreur ! D'abord, ce n'est guère un embarras, le "stock" d'une librairie en ligne n'étant que virtuel. Mais surtout, les statistiques d'Amazon révèlent que la majorité des ouvrages vendus ne sont pas présents dans les librairies. Comme le dit sans fioritures un capital-risqueur américain: "C'est dans les plus faibles ventes qu'il y a le plus d'argent à faire." Patience et longueur de traîne, voilà la solution. Ce qui est petit est gentil et peut rapporter gros. En matière de pub, Google fait son beurre avec une myriade de petits annonceurs.

Bien entendu, ce n'est pas le profit qui m'excite, mais la diversité culturelle qui se profile à l'horizon. La nouvelle édition pourra échapper à la tyrannie du plus petit dénominateur commun, indispensable pour séduire une masse, c'est à dire un gros tas de lecteurs. Il y aura toujours des Congourt, des Little montés sur talonnettes, des Marc Levide, des Cacavalda, mais ils ne pomperont plus l'air aux livres authentiques, qui auront tout le temps de trouver leurs lecteurs.
Vive la longue queue !