
La publication n'est pas seulement vécue comme un avantage par l'auteur – l'avantage d'être lu, de ne pas avoir écrit pour rien, et, plus largement, de communiquer avec ses prochains –, mais comme un privilège. Il se sent adoubé par une autorité supérieure, élevé à un statut qui le sort de l'espèce commune. A la publication de mon premier bouquin, je me rappelle avoir eu cette pensée niaise en regardant mes mains : "Ces mains-là écrivent !" Comme si elles avaient gagné un pouvoir magique – par la grâce d'un polar écrit en un mois, certes bien troussé et lauréat d'un petit prix respectable, mais sans aucune chance de passer à la postérité !
La postérité ! Le mot est lâché ! Le livre survivra à son auteur. L'auteur sera mort qu'il ban... parlera encore. Un jour, un ami a prétendu devant moi, avec le plus grand sérieux, qu'il écrivait pour la postérité. Je suis resté sans voix. Un "vrai écrivain" – vrai ou faux ? querelle toute scholastique – est au-dessus de la mêlée dans l'espace de sa vie, et au-dessus du temps. Ce sont là des micro-sentiments, des "tropismes" comme dirait Nathalie Sarraute, souterrains, à peine formulables, à peine avouables, mais vivaces dans la tête de l'auteur comme dans celle du lecteur. En provenance directe de l'idéologie qui s'est construite au XVIIIème, et surtout au XIXème, quand les "intellectuels" ont pris la place de Dieu, à la faveur de la révolution bourgeoise, pour dessiner le sens de la vie.