C'est la fin des éditeurs. Devenus de simples marchands, ils n'ont plus notre confiance et la technologie nous en dispense. Ce tableau de Tiepolo fils invite à leur tourner le dos. Grouillot de son célèbre père pendant des années pour brosser des tableaux académiques sans âme, Giandomenico Tiepolo a pris sa mesure après la mort du père, osant des fresques "impubliables" à son époque. A l'imposteur succèda un vrai artiste.

jeudi 16 janvier 2014

De l'écrivain professionnel

Professionnel de la littérature ? C'est ridicule, limite indécent, de réclamer ça. J'écris si je veux, quand je veux, ce que je veux, c'est de l'ordre du désir, pas du devoir, je n'ai de comptes à rendre à personne. Et j'écris quand je peux, et souvent, je m'arrache les cheveux : je n'y arrive pas, putain ! Dans ces conditions, comment pourrais-je exiger mon chèque à la fin du mois ?
Si ce que j'ai écrit rapporte à quelqu'un, je réclamerai ma part, je ne ferai pas l'ange dans un monde de bêtes à profit, y a pas écrit pigeon, et si ça rapporte gros, cool ! je n'aurai plus besoin de mettre mon réveil à sonner le matin. Cela dit, il n'est pas certain que ma plume s'en porte bien. Je serai tenté de rejouer la combinaison gagnante, avec un prétexte d'allure morale (pré-texte, c'est le cas de le dire) du genre: mon lectorat m'attend. J'écrirais alors sur commande – sur ma propre commande.
Or, l'écriture, ça ne se commande pas. A moins de s'appeler Rico Sifredi, tu ne bandes pas sur commande, ou tu bandes mou. Bon, tu arrives à te débrouiller, ça se tient à peu près, mais au fond, tu sais bien que c'est merdique, disons quelconque. Une petite baise, comme ça, quelconque, ça peut faire plaisir par où ça passe. Un texte quelconque est un texte nul. Qui n'a pas lieu d'être. Qui, publié, gâche la forêt.
Mais il y a un autre problème, et de taille ! L'écrivain qui passe son temps à écrire (en veillant, chaque fin de mois, aux droits d'auteur qui tombent sur le compte courant), de quoi sa vie est-elle faite? D'écriture. De frappe sur le clavier. De stylo qui fuit. De papier qui passe mal dans l'imprimante. Que d'aventures ! Et il écrit sur quoi, cet aventurier ? Sur le stylo qui fuit ? Sur le papier qui fait chier ? Dans le meilleur des cas, sa femme le plaque (et on la comprend). Ça fait au moins quelque chose à raconter. Ah ! quel malheur, et c'est un malheur directement accessible au commun des lecteurs et des lectrices, car on a tous été plaqués une ou plusieurs fois. Voilà un bon roman bien français comme les détestait Deleuze. "La séparation" de Dan Frank, par exemple.
Ecrire, ça vient de la vie et ça retourne à la vie. C'est de l'esprit et de la chair touillés, sublimés, passés dans l'alambic. Un alcool. Et on n'en connaît pas la recettte. Il n'y a pas de recette. Quiconque se confronte à ce genre de distillation doit tout inventer.  Ce n'est pas à la portée du premier blanc-bec qui n'a que microsoft word pour horizon. Il faut se coltiner le monde, pour écrire. L'écriture, ça vient après. Dans le meilleur des cas.
C'était quoi, déjà, le sujet ? Professionaliser l'écriture ? Tu rigoles ou quoi?