C'est la fin des éditeurs. Devenus de simples marchands, ils n'ont plus notre confiance et la technologie nous en dispense. Ce tableau de Tiepolo fils invite à leur tourner le dos. Grouillot de son célèbre père pendant des années pour brosser des tableaux académiques sans âme, Giandomenico Tiepolo a pris sa mesure après la mort du père, osant des fresques "impubliables" à son époque. A l'imposteur succèda un vrai artiste.

jeudi 16 janvier 2014

Relire Bourdieu

"La mesure du taux d'audience est devenue le jugement dernier du journaliste: jusque dans les lieux les plus autonomes du journalisme, à part peut-être Le Canard enchaîné, Le Monde diplomatique, et quelques petites revues d'avant-garde animées par des gens généreux et "irresponsables", l'audimat est actuellement dans tous les cerveaux. Il y a aujourd'hui une "mentalité audimat" dans les salles de rédaction, dans les maisons d'édition, etc. Partout, on pense en termes de succès commercial.

Il y a simplement une trentaine d'années, et ça depuis le milieu du XIXème siècle, depuis Baudelaire, Flaubert etc., dans le milieu des écrivains d'avant-garde, des écrivains pour écrivains, reconnus par les écrivains, ou, de même, parmi les artistes reconnus par les artistes, le succès commercial immédiat était suspect: on y voyait un signe de compromission avec le siècle, l'argent... Alors qu'aujourd'hui, de plus en plus, le marché est reconnu comme instance légitime de légitimation. On le voit bien avec cette autre institution récente qu'est la liste des best-sellers. [...]

A travers l'audimat, c'est la logique du commercial qui s'impose aux productions culturelles. Or, il est important de savoir que, historiquement, toutes les productions culturelles que je considère – et je ne suis pas le seul, j'espère –, qu'un certain nombre de gens considèrent comme les productions les plus hautes de l'humanité, les mathématiques, la poésie, la littérature, la philosophie, toutes ces choses ont été produites contre l'équivalent de l'audimat, contre la logique du commerce. Voir se réintroduire cette mentalité audimat jusque chez les éditeurs d'avant-garde, jusque dans les institutions savantes, qui se mettent à faire du marketing, c'est très inquiétant parce que cela risque de mettre en question les conditions mêmes de la production d'œuvres qui peuvent paraître ésotériques, parce qu'elles ne vont pas au devant des attentes de leur public, mais qui, à terme, sont capables de créer leur public."

Extrait de "Sur la télévision", p.28.